Histoire de La Ferté-Loupière Texte extrait de « Histoire des communes de l’Yonne » de Maurice PIGNARD-PEGUET (1913) |
LA FERTE-LOUPIERE
(FIRMITAS LOPERIA) Les Origines de la Ferté. - Au lieu dit les Buttes, près du hameau de Rabiers, on voit les vestiges d'une enceinte gallo-romaine. On y a trouvé des médailles et des débris de poteries qui semblent, au dire de Félicien Thierry, laisser croire que ces Buttes (Firmitas Loperia) sont sur l'emplacement d'une fabrique de minerai de fer et que des fortifications furent élevées là pour protéger les travailleurs des « ferriers » ou « laytiers » de ces régions. C'était La Ferté primitive, ou la Vieille-Ferté par opposition au village actuel de La Ferté-Loupière. La Vieille-Ferté. - La Vieille-Ferté, après diverses vicissitudes historiques, joua un rôle actif à partir du jour où Jean de Sancerre y eut construit un château que les Courtenay habitèrent. Ensuite, elle échut à la maison de Quinquet qui la conserva pendant plus de deux siècles. La famille Quinquet était d'origine écossaise. Elle fut achetée par Ghislain de la Brosse qui avait épousé Mlle de la Prée, fille du seigneur de Boutin. Deux fils naquirent de cette union, et le cadet hérita de la terre. Il passa le temps de la Révolution à la Vieille-Ferté que ses enfants vendirent en 1822 au baron de Monnier, chef de cabinet sous l'Empire, chargé en 1812, de la direction de l'Intérieur et de la Police de la Lituanie. L'Empereur l'avait comblé d'honneurs. Il était franc-comtois. A la mort du marquis, son frère, chef de la branche aînée, le baron de Monnier, chef de la branche cadette, était devenu représentant de la famille. Il fit agrandir le château de la Vieille-Ferté, embellit le domaine et devint maire de la Ferté, de 1825 à 1830. Une de ses filles a épousé M. le comte de Tryon-Montalembert qui, à son tour, a été maire de La Ferté. La Nouvelle Ferté ou La Ferté-Loupière et les comtes de Champagne. - La Ferté-Loupière faisait partie du Sénonais quand Richard-le-Justicier, duc de Bourgogne, s'empara de Sens au IXe siècle. Hugues-le-Grand, en 911, en avait confié la défense à un vicomte. Or, pendant la guerre de succession de Bourgogne, le comte Etienne de Champagne s'empara de la Ferté-Loupière où il se heurta à Foulques Nerra, comte d'Anjou, et la céda à Eudes, comte de Blois, de Tours et de Chartres, qui la fortifia, puis il se fit comte de Champagne (1019). En 1055, à la réunion du Sénonais à la couronne de France, la châtellenie de La Ferté-Loupière resta aux comtes de Champagne avec celle de Saint-Florentin et la suzeraineté de Joigny. Suivant la coutume du temps, vers la fin du XIe siècle, le comte confia la défense de La Ferté et de son territoire au seigneur Vivien, qui fonda en 1100 l'abbaye des Escharlis que son prévôt de Sépeaux délimita ; mais son fils, Séguin l'Enfant, mécontent des moines, brûla ce monastère. En 1143, Thibault IV, comte de Champagne, rendit hommage, au duc de Bourgogne, de la châtellenie de La Ferté-Loupière ainsi que de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre, des châtellenies de Joigny, d'Isle-sur-Serein, de Saint-Florentin, de Bar-sur-Seine et d'Arcis-sur-Aube. A sa mort, en 1152, La Ferté-Loupière fut donnée en partage avec Sancerre à son troisième fils, Etienne, qui prit le titre de comte de Sancerre. Comme il entra en lutte avec le comte d'Auxerre, Pierre de Courtenay, fit appel à l'aide du comte de Joigny (1161). Pour prix de ses services, il lui engagea la moitié de la seigneurie de La Ferté et lui donna en toute suzeraineté l'autre moitié. La première moitié seule devait faire retour au comte de Sancerre. De là la division de la châtellenie primitive de la Ferté-Loupière en deux : celle de la Ferté-Loupière et celle de La Coudre. Les deux châtellenies de La Ferté-Loupière. - L'une de ces châtellenies était du ressort de Joigny où se trouvait l'église paroissiale de Saint-Germain. Elle se composait de Beauregard, Boutin, Chevillon, Espinabeaux, Fumérault et les Ormes ; l'autre ressortissait au bailliage de Troyes, à l'ancien manoir de la Couldre, et comprenait les Brassards, Champvallon, Grafigny, Racheuse, Saint-Denis-sur-Ouanne, Saint-Romain, Sépeaux et Villiers-sur-Tholon. La paroisse avait pour siège un prieuré qui dépendait de la maison du Mont-aux-Malades de Rouen et portait son nom. Les religieux, qui étaient au nombre de six vers 1200, construisirent l'Hôtel-Dieu et une léproserie. Les Comtes de Sancerre. – Le comte Etienne Ier de Sancerre est celui qui enleva au baron de Donzy, sa fille Alix, fiancée au jeune Ansel de Trainel. Son fils, Guillaume Ier comte de Sancerre, seigneur de Saint-Brisson et de La Ferté-Loupière, était encore mineur lorsque son père fut tué en 1190 devant Saint-Jean-D’acre. Il mourut en 1218. Son fils, Louis 1er, et son petit-fils, Jean 1er, lui succédèrent. La moitié de La Ferté-Loupière, engagée au comte de Joigny, par Etienne Ier, fit retour à Jean Ier qui en 1265, l'échangea contre celle d'Argenton avec Guillaume de Courtenay. Cette moitié constitua la châtellenie dite de La Coudre. Ses terres entouraient celles de la châtellenie proprement dite de la Ferté-Loupière et demeurée aux comtes de Joigny. Le manoir de La Coudre, commune de Perreux, de qui relevait cette seconde châtellenie, ne disparut qu'au XVIIIe siècle. Le siège de sa justice seigneuriale était à Villiers-sur-Tholon et celui des assises à la Loge, près de la ville de La Ferté-Loupière. Au manoir avait seulement lieu l'hommage des vassaux. Les Courtenay de Champignelles, seigneurs de La Ferté-Loupière. - Pierre II de Courtenay, comte d'Auxerre, marquis de Namur et empereur de Constantinople, avait un frère Robert qui était seigneur de Champignelles, de Château-Renard, de Mehun-sur-Yèvre, de Vermenton, et bouteiller de France. Une de ses filles, Blanche, avait été mariée à Louis Ier comte de Sancerre et seigneur de La Ferté-Loupière. De cette union était né ce Jean Ier qui avait échangé La Ferté contre Argentan en 1265 avec Guillaume de Courtenay, un des fils de Robert et seigneur de Champignelles. La maison des Courtenay de Champignelles annexa la seigneurie de La Ferté-Loupière (châtellenie de La Coudre) à ses autres possessions. Guillaume Ier laissait d'Agnès de Toucy sa femme deux fils: Robert II, archevêque de Reims, et Jean (1280). En 1313, Jean Ier succéda à son frère Robert et mourut seigneur de Champignelles et de La Ferté en 1318, en assignant cette dernière châtellenie à son second fils Philippe, qui alla demeurer dans la forteresse que le comte Jean de Sancerre avait élevée sur le plateau de la Vieille-Ferté. Le fils de Philippe, Jean de Courtenay Ier, lui succéda en 1346. La soeur de Jean, Marguerite de Courtenay, épousa Raoul le Bouteiller, seigneur de Senlis, qui fut tué à Poitiers en 1356. La branche de Courtenay-La Ferté-Loupière. - Les Courtenay de La Ferté-Loupière furent mêlés à la sombre période de la guerre de Cent Ans. Les traces d'incendie qui ont été trouvées en creusant des fondations témoignent que La Ferté fut incendiée et détruite au début de l'invasion par les bandes anglaises. Les habitants s'étaient réfugiés en hâte dans le manoir de Philippe de Courtenay que possédait son fils Jean. Ce dernier mourut en 1412, après avoir guerroyé comme son père dans les rangs du roi de France contre les Anglais et les Bourguignons. Aussi, en 1418, Charles VI, allié des Anglais et traître à la France, le déclara-t-il rebelle pour lui confisquer ses terres qu'il donna à son partisan, Guy de la Trémouille, comte de Joigny. Il ne les recouvra qu'après le traité d'Arras en 1436. Il ne laissa que deux fil1es qui, étant mariées, vendirent, en 1455, leurs parts de seigneurie de La Ferté à Jean de Courtenay Ier, seigneur de Bléneau. L'autonomie de la châtellenie de La Ferté-Loupière relevant du manoir de La Coudre n'avait guère duré plus de deux siècles. Les Courtenay de Bléneau, seigneurs de La Ferté-Loupière. - Jean de Courtenay-Bléneau avait hérité d'autre part d'une troisième portion de la seigneurie de La Ferté de Pernelle de Thianges, qui la tenait de sa grand-mère, Marguerite de Courtenay, femme de Raoul le Bouteiller de Senlis. Son fils, Pierre Ier (1461) fut seigneur de La, Ferté-Loupière, de Chevillon, de Bontin (Sommecaise), etc. Il a inscrit ses armes : au lambel de trois pendants d'azur, et celles de sa femme, Perrine de la Roche : d'argent à trois pals, de gueules, sur les verrières de l'église paroissiale de La Ferté. A la mort de Pierre Ier, en 1504, il y eut un partage complet de tous ses biens entre ses nombreux enfants : Hector eut une partie de La Ferté-Loupière ; Jean obtint Chevillon où il fonda la branche de Courtenay-Chevillon ; Louis reçut les terres de Sommecaise, des Ormes et de Boutin qui formèrent, sous le nom de Bontin, une seigneurie où il fonda la branche des CourtenayBontin ; Pierre eut une seigneurie dite du Martroy, où il avait un manoir féodal, et Edme, les possessions de Villiers-sur-Tholon et de Brion, avec les fiefs de l'Enfernat, des Fourneaux et de Frauville. Aux deux filles, Edmée et Blanche, furent assignées les maisons, grange et jardin d'Enbas de la Ferté pour la première, et la forge avec le fourneau à fer pour la seconde. Marguerite de Courtenay était mariée à Guillaume Quinquet, à qui Hector céda le château de la Vieille-Ferté pour aller habiter le château seigneurial de Vi1leneuve-la Cornue, près de la Grange-Bléneau en Seine-et-Marne, où un Courtenay avait fondé une branche de ce nom. A sa mort, en 1549, son fils aîné, René Ier de Courtenay, porta le titre de seigneur de La Ferté-Loupière ; mais ni lui qui fut tué au siège de Bourges en 1562, ni son cousin, Philippe, seigneur de Villeneuve-la-Cornue, ne laissèrent de postérité. La maison de Saint-Phalle. - La branche mâle des seigneurs de La Ferté-Loupière étant éteinte, sa succession échut à quatre filles de la branche des Courtenay de Villeneuve-la-Cornue de Seine-et-Marne : Jeanne, Barbe, Marie et Charlotte, et la succession passa par mariage à la maison de Saint-Phalle avec Guillaume de Saint-Phalle, seigneur de Neuilly, qui avait épousé Edmée, et Philippe, seigneur de Thou, qui avait épousé Barbe de Courtenay, les deux filles d'Hector. Ils descendaient de la maison de Saint-Phalle, originaire de la Brie et venue à Cudot. La seigneurie de La Ferté-Loupière échut au seigneur de Neuilly comme ayant épousé la fille aînée d'Hector de Courtenay. Son petit-fils, Edme de Saint-Phalle, n'ayant que les deux tiers de la châtellenie, acheta le troisième tiers, avec le fief de Brion ou du PetitMartroy, de Pierre et de Richard Gruyn, co-seigneurs de la Celle-Saint-Cyr et Villiers-su•r-Tholon. Georges de Saint-Phalle fut le dernier seigneur de cette famille à La Ferté, et cette châtellenie passa vers 1687 à Jules-Louis Bolé de Champlay, seigneur de Champlay, les Vosves, Villemer, Neuilly, Aillant, etc., conseiller du roi et maréchal des camps qui mourut sans postérité en 1719. Les derniers seigneurs. - La seigneurie de La Ferté était échue au sieur François-Charles Tourmente qui la légua en 1724 avec le PetitMartroy et le Petit-Asnières, à Louis-Nicolas de Neuville de Villeroy et de Beaupréau, duc de Villeroy, pair de France, lieutenant-général des armées du roi, comte de Joigny, qui s'engagea à ne pas l'annexer à son comté. Son fils, FrançoisLouis de Neufville de Villeroy, la céda le 11 mai 1760, à Claude-Mathieu Radix, seigneur de Chevillon, trésorier-général et payeur des rentes de l'Hôtel-de-Ville de Paris, qui la revendit en 1784, avec la terre de Chevillon, à Etienne Philippes, marquis de Villaines, mestre de camp de cavalerie, pour solder les dettes de son frère Radix de Sainte-Joix, le prodigue intendant du comte d'Artois roi plus tard sous le nom de Charles X. A la Révolution, le marquis de Villaines ayant émigré, ses châteaux et terres furent vendus nationalement. Il mourut en juillet 1794 au siège de Newport, maréchal de camp. Ses enfants. réclamèrent en 1815 les bois de La Ferté-Loupière, qui n'avaient pas trouvé d'acquéreurs et les vendirent à un négociant de Paris. M. Casimir-Périer, futur ministre de Louis-Philippe, acquit les bois dits des Morisois, environ 800 arpents qu'il revendit en 1830. L'Eglise. - Le style général est la transition XIIe siècle dans les trois nefs et la Renaissance XVe et XVIe au sanctuaire. On marche sur trois dallages superposés dont le dernier en date est de 1856. Lors du second dallage on a recouvert plusieurs caveaux et détruit plusieurs pierres tombales dont celles de Pierre de Courtenay, mort en 1504, et d'Hector, son fils, décédé en 1549. Les piliers sont rectangulaires, à biseau, et montrent des chapiteaux à feuilles plates et à volutes sculptés parfois de raisins. Les trois premières travées sont en plein cintre ; l'arcade de la quatrième, qui touche au transept, est ogivale, comme celles qui communiquent avec les chapelles latérales et avec le chœur. Il y a deux étages de fenêtres au chœur et au sanctuaire ; mais les baies comme les voûtes sont variées. Quelques baies appartiennent à la Renaissance flamboyante ; celles du chœur et de l'abside sont couvertes de vitraux. Les chapelles sont plutôt du XVIIe siècle : on voit dans l'une des vitraux ornés de trèfles et de blasons et dans l'autre les écussons de Pierre de Courtenay et de sa femme Perrine de la Roche. Au vitrail flamboyant de l'abside, qui est récent, on voit les douze Apôtres, saint Eloi, saint Germain et saint Pantaléon. La façade est éclairée par des géminées lancettes XIIIe à droite et des géminées Renaissance à vitraux à gauche. Deux portails. Le petit en accolade est du XVe. Le grand, qui est orné de colonnettes à chapiteaux à crochets, est du XIIIe, ou mieux du XIIe par son archivolte cintrée ornée de billettes. Les Fresques. - Sur le grand mur nord de la nef majeure, M. Martens, curé de La Ferté, et M. le marquis de Tryon-Montalembert ont découvert une magnifique fresque de 15 à 20 mètres de long, représentant une Danse des Morts où l'on faisait figurer à l'époque toutes les hiérarchies civiles et épiscopales. Cette découverte artistique sensationnelle date de septembre 1910. Nous ne croyons pas que la fresque soit classée encore. Pareille Danse des Morts est visible à la Chaise-Dieu dans la Haute-Loire et à Valenciennes. A noter autour de la même nef les armoiries qui jalonnaient une ancienne litre seigneuriale. Au chœur, on remarque deux tableaux : une Descente de Croix et une Sainte Cécile ; dans le bas-côté nord un Saint François d'Assise ; dans la nef une Nativité, et un bénitier revêtant la forme d'un mortier. Texte extrait de « Histoire des communes de l’Yonne » de Maurice PIGNARD-PEGUET (1913) |