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Le crime de Garges

On a raconté l'assassinat commis par un inconnu sur un nommé D ..., garçon meunier à Garges (Seine-et-Oise).
Le parquet de Pontoise, qui avait commencé l'instruction de cette affaire, ayant constaté que le crime avait été commis sur la commune de Drancy renvoya au parquet de la Seine, dont ressort cette commune, les renseignements déjà recueillis, et, le 2 décembre, M. Bernard, procureur de la République et M. Guillot, juge d'instruction, recommençaient l'information.
On avait cru d'abord que le crime avait été commis par deux hommes dont on avait donné le signalement ; ces deux individus furent arrêtés et purent facilement établir leur innocence. Ils furent donc remis en liberté et le service de la sûreté fut chargé de rechercher le coupable.
D ..., qui était fort méfiant, ne pouvait avoir laisse monter dans sa voiture un étranger ; en outre, un énorme chien qui toujours accompagnait D ... n'aurait non plus laissé approcher un inconnu ; c'était donc parmi les individus connus de la victime qu'il fallait rechercher le coupable.
M. Goron, sous-chef de la sûreté, apprit bientôt qu'un nommé S ..., âgé de vingt-six ans, de La Ferté-Loupière, avait quitté sa place depuis quelque temps, qu'il n'avait pas d'argent au moment de son départ et que cependant depuis quelques jours il faisait des dépenses assez fortes.
Des agents, chargés de contrôler ces déclarations, découvrirent que S ... avait, le lendemain de l'assassinat et les jours suivants, dépensé à Garges et dans les environs une centaine de francs et que de plus il avait échangé son ancien habillement, composé d'un tricot de marin rayé bleu et blanc, d'un chapeau rond et d'une chemise de couleur, contre un complet neuf.
Munis de son signalement, les agents se mirent à sa recherche et le découvrirent avant-hier soir à la foire de Montmartre.
Arrêté au moment où il allait entrer à la ménagerie Pezon, il fut conduit au Dépôt.
Interrogé par M. Guillot, juge d'instruction, S ... prétendait avoir acheté depuis trois mois au moins les vêtements qu'il avait sur lui ; quant à ceux qu'il portait, en quittant le moulin, il ne savait pas ce qu'ils étaient devenus. Or, en faisant une perquisition à son domicile, à Montmartre, on a trouvé sous son lit un chapeau rond taché de sang, ainsi que le tricot et un paletot qui étaient également souillés de sang.
S ... a cherché à établir un alibi ; il a prétendu qu'à l'heure où se commettait le crime sur la route de Drancy, il se trouvait dans un cabaret des Halles, et que plusieurs personnes dont il donnait les noms pouvaient le justifier.
Ces personnes ont été entendues ; elles ont toutes déclaré avoir effectivement vu S ... à Paris le soir indiqué par lui ; mais il était à ce moment plus de minuit, c'est-à-dire trois heures au moins après le crime commis.
Interrogé de nouveau et après avoir entendu la déposition des personnes qu'il avait mises en cause, il a déclaré qu'il ne répondrait plus rien au juge d'instruction.
Il a été écroué à Meaux.
Le Rappel – 11 décembre 1886

Le crime de Garges - Nous avons parlé, il y a quelque temps, de l'assassinat d'un garçon meunier nommé Delaporte, qui avait été tué à coups de pavé, dans la voiture qu'il conduisait chez son patron, à Garges, près de Gonesse (Seine-et-Oise).
Les soupçons se portèrent sur un nommé S ..., qui fut arrêté à Montmartre, quelques jours après le crime, et écroué à Meaux.
Jusqu'à présent, S ... avait affirmé énergiquement son innocence, malgré les preuves accumulées contre lui ; mais on vient d'en recueillir une qui ne permet plus de douter.
Un de ses codétenus étant arrivé à l'expiration de sa peine, S ... lui remit une lettre adressée à sa maîtresse, et dans laquelle il priait cette femme de déclarer au juge d'instruction qu'il avait passé chez elle la nuit du crime et qu'elle lui avait remis cent cinquante francs.
Cette lettre a été saisie, et les magistrats la considèrent comme une charge très probante contre l'inculpé.
La Justice – 10 avril 1887

Le crime de Garges - Aujourd'hui mardi, doit venir devant la cour d'assises de la Seine, présidée par M. le conseiller Feynot, le crime de Garges qui, au mois de novembre dernier, eut un certain retentissement, et qui rappelle un peu l'affaire du garçon épicier Lecercle.
Le charretier Delporte, au service de M. Bertout, meunier à Garges, était assassiné le 30 novembre au soir, dans sa voiture, après avoir fait sa tournée de recette habituelle chez les clients de son patron. Le vol avait été le mobile du crime, qui eut lieu près du château des Alouettes, à deux lieues de Garges.
Les soupçons se sont portés sur un garçon meunier, Alexandre S ..., qui avait été employé pendant un mois chez M. Bertout, et que celui-ci avait congédié le 17 novembre.
S ... a été arrêté. Il a toujours nié être l'assassin du charretier Delporte.
Il est probable que les débats seront repris. Si nos renseignements personnels sont exacts, S ... aurait, ces temps derniers, donné des symptômes d'aliénation mentale qui motiveraient un supplément d’informations.
S ... a confié sa défense à Me Decori.
Le Rappel – 29 juin 1887

Le crime de Garges - L'examen auquel Alexandre S ... a été soumis, dans la journée de lundi, n'ayant pas nécessité un supplément d'information, l'affaire dite le crime de Garges, ou, pour parler plus exactement, le crime du château des Alouettes, a commencé hier devant la cour d'assises de la Seine, présidée par M. le conseiller Feynot.
M. l'avocat général Reynaud occupe le fauteuil du ministère public.
Me Decori est assis au banc de la défense.
Nous avons dit hier que S ... est accusé de l'assassinat commis le 30 novembre dernier, vers neuf heures vingt minutes du soir, entre le château des Alouettes et la ferme du Petit-Groslay, à deux lieues de Garges, sur la personne du charretier Bernard Delporte, employé chez M. Bertout, meunier à Garges.
S ... est né à La Ferté-Loupière (Yonne), le 27 septembre 1851. C'est un petit homme, aux cheveux et à la barbe d'un noir d'encre, au regard clignotant, ayant l'attitude sournoise du paysan madré. Voici les faits qui lui sont reprochés d'après l'acte d'accusation :
Acte d’accusation
Le mardi 30 novembre 1886, le sieur Bertout, meunier à Garges, envoya son charretier, Bernard Delporte, faire dans les communes voisines, la tournée qu'il faisait régulièrement les mardis de chaque semaine pour porter des moutures aux clients et opérer des recettes.
Le même jour, à onze heures du soir, Bertaut entendit sa voiture s'arrêter devant le moulin. Etourdi de ce que le charretier ne demandait pas la clef de la porte cochère, Bertout l'appela à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse...
Il réveilla son garçon fermier, Paradeau, et il sortit avec lui afin de se rendre compte de ce qui se passait.
L'extérieur de la charrette couverte d'une bâche, attachée comme au départ, n'annonçait rien d'anormal. Mais en regardant dans l'intérieur, le meunier fut épouvanté de voir son employé Delporte inondé de sang, la tête fracassée et sans connaissance.
Le blessé assis sur des sacs vides, le corps appuyé sur la ridelle droite, était enveloppé de sa limousine, dans l'attitude d'un homme qui avait été frappé à l'improviste et qui ne s'était pas débattu. Près de lui, on releva sa casquette et son mouchoir de poche; dans le gousset haut de son gilet, on retrouva sa montre dont les aiguilles s'étaient arrêtées à neuf heures vingt minutes.
Delporte respirait encore. On le transporta dans sa chambre, et il succomba dans la nuit suivante sans avoir pu reprendre l'usage de la parole ni donner la moindre indication de nature à révéler le nom du coupable. Après avoir constaté que l'autopsie établit que Delporte avait dû être paralysé du premier coup du pavé qu'on trouva dans la charrette, et n'avait pu proférer que quelques cris.
L'acte d'accusation ajoute : Le premier soin de l'information devait être de déterminer le but et l'heure du crime. Elle est parvenue à le faire d'une façon très précise en suivant pour ainsi dire pas à pas Bernard Delporte pendant la journée du mardi 30 novembre.
II ressort de l'ensemble, de ces faits que l'assassinat a été commis entre le hameau du Petit-Grosley et l'auberge des Alouettes, vers neuf heures vingt du soir : Le lieu qu'on vient de déterminer comme étant celui du crime est à proximité de plusieurs stations de chemins de fer, de celles du Bourget, de Bondy et d'Aulnay-les-Bondy. Le meurtrier avait le choix entre plusieurs trains qui pouvaient le ramener à Paris.
L'auberge du Château-des-Alouettes est à deux lieues de la commune de Garges. Les 4 chevaux, obéissant à l'instinct de l'habitude, continuèrent leur route jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés devant la maison de leur maître, où ils ramenèrent Delporte mourant.
Le mobile du crime apparut clairement : c'était le vol. Le livre de tournée et la bourse de Delporte avaient disparu.
En récapitulant les sommes que Delporte avaient touchées dans la tournée, on a obtenu un total de 73 francs et 50 centimes, auxquels il y faut joindre l'argent personnel du charretier, qu'on peut évaluer à une douzaine de francs. Le voleur avait pris environ 85 francs.
Les circonstances dans lesquelles le vol et l'assassinat avaient été perpétrés indiquaient que le coupable connaissait Delporte et la régularité de ses tournées hebdomadaires.
L'attention de la justice se porta sur les anciens employés du moulin de Garges.
L'un d'eux, le sieur B ... , qui avait quitté le sieur Bertout depuis le 9 octobre dernier, n'eut pas de peine à se disculper, car on constata sa présence à Saint-Denis au jour et à l'heure du crime.
Il n'en fut pas de même de l'accusé S .... Les indices l'avaient fait mettre en état d'accusation dès le 4 décembre se sont corroborés par des preuves qui, malgré ses protestations d'innocence, ne permettent pas de douter de sa culpabilité.
Alexandre S ... est fils d'un bûcheron de l'arrondissement de Joigny. A l'âge de quinze ans, il a été condamné pour crime d'incendie volontaire à être enfermé dans une maison de correction jusqu'à sa vingtième année. Après sa libération, il est resté jusqu'au mois de septembre 1886 dans son pays, où il avait la réputation d'être un mauvais sujet, violent et dépensier, cherchant partout à inspirer la crainte et à faire des dupes. Il laissait des dettes quand il partit pour Paris le 14 septembre.
S ... ne possédait rien le 12 octobre lorsqu'il entra au service du meunier Bertout, aux gages de 60 francs par mois. Il sollicita aussitôt des avances, qui lui sont accordées.
Le l1 novembre, à l'échéance du mois, M. Bertout lui solde le surplus de ses gages en monnaie d'argent.
Le soir même, il part pour Paris, fréquente la fête du boulevard Rochechouart et fait des fortes dépenses et rentre avec 55 centimes. Le 17 novembre, M. Bertout le congédie, en lui payant 2 francs et 80 centimes, solde de tout compte. L garçon meunier Vincent lui avança, sur sa demande, une somme de 1 franc et 90 centimes. Il avait donc 4 francs et 70 centimes pour toute ressource.
Il se rendit à Paris, séjourna chez un de ses parents jusqu'au 30 décembre au matin et disparut. On ne le revit que dans la nuit du 30 au 31, vers une heure du matin, chez un marchand de vin de la rue du Pont-Neuf, près des Halles.
L'information pensa que l'assassin de Delporte devait connaître l'itinéraire suivi par la victime dans la journée du 30 novembre, d'autant mieux que Delporte, comme la plupart de ses collègues, avait toujours pour compagnon de voyage un petit chien qui jappait furieusement dès qu'on faisait mine d'approcher de la voiture.
Or, la route suivie par le garçon charretier de M. Bertout est partout bordée de maisons assez rapprochées les unes des autres. Si donc un inconnu s'était précipité sur le marchepied et avait entamé une lutte avec Delporte, les aboiements du chien auraient certainement donné l'éveil. Les premières informations recueillies établirent qu'au moment où le crime avait été vraisemblablement commis, personne n'avait entendu le moindre bruit. Forcément il fallait en conclure que l'assassin était un individu connu de Delporte.
On pensa immédiatement à S ..., et les inspecteurs de police Gaillarde, Bourtet et Bleuzet furent chargés de chercher sa piste à Paris.
Bientôt ils apprirent que l'ancien compagnon de Delporte était arrivé à Paris, le 30 novembre, très tard dans la nuit ; ils suivirent ses traces de près et finirent par l'arrêter rue Muller, à Montmartre.
Conduit au Dépôt, il fut trouvé vêtu d'un tricot de marin neuf ; on lui demanda d'où venaient ces effets ; il prétendit les avoir achetés à Joigny quinze jours plus tôt ; mais on n'eut pas de peine à établir qu'il en avait fait emplette à Paris, le lendemain même du crime.
Interrogé ensuite sur l'emploi de son, temps pendant la journée et la soirée où Delporte avait été assassiné, il répondit qu'il avait erré à Montmartre et aux Halle, et il indiqua même un débit de vins où il affirmait avoir dépensé 2 francs.
Sur ce dernier point, il disait la vérité : on retrouva ce débit ; il fut reconnu que S ... y était venu, mais après minuit seulement, et il y avait réglé une note de 10 francs.
C'était là le commencement des mensonges ; il devait en commettre encore plusieurs, d'abord en disant qu'il avait jeté son vieux chapeau ; ce chapeau fut saisi, taché de sang, dans sa chambre de la rue Muller ; ensuite en expliquant la provenance de l'argent dont il était porteur au moment de son arrestation : 20 francs qui, ajoutés aux 60 qu'il avait dépensés en quelques jours, faisaient bien une somma égale à celle qu'avait dû percevoir Delporte dans sa tournée.
Enfin il avait aux poignets de fortes égratignures dont il ne voulut pas faire connaître l'origine.
Cependant, malgré tous ces indices, assez légers à vrai dire, S ... niait énergiquement être l'auteur du crime commis sur la route de Garges.
On le maintint néanmoins en état d'arrestation, et le juge d'instruction continua à chercher des preuves de sa culpabilité.
Peut-être aurait-il eu de la peine à en trouver de certaines, si le hasard, ou plutôt la maladresse de S ... n'était venue le servir fort à propos.
Pendant sa détention à Meaux, S ... s'était lié avec l'un de ses codétenus qui devait être prochainement mis en liberté.
Lorsque le jour de la libération de celui-ci arriva, S ... lui glissa dans la main une lettre adressée à sa maîtresse.
L'ami promis de la remettre à sa destination, mais elle tomba entre les mains du directeur de la prison, qui se hâta de l'envoyer au juge d'instruction.
Dans cette missive, S ... conjurait sa maîtresse de venir à son secours :
"Lorsque tu seras interrogée, lui disait-il, jure que nous avons passé la nuit du 30 ensemble, et que tu m'as fait, à diverses reprises, des avances d'argent".
C'était un aveu presque formel de l'accusé.
En conséquence, etc.
Interrogatoire de S ...
M. le président interroge l'accusé, qui répond d'une voix flûtée et en regardant en dessous la cour :
Après avoir rappelé les antécédents de S ..., M. le président lui dit :
Question : S ..., vous avez toujours opposé des dénégations formelles au crime dont vous avez à rendre compte aujourd'hui devant messieurs les jurés. Persistez-vous dans vos dénégations ?
Réponse : Oui, monsieur, ce n'est pas moi.
M. le président fait l'exposé des faits qu'on a lus plus haut.
Question : S ..., Delporte était accompagné d'un chien de garde. Vous le savez ?
Réponse : Oui, monsieur.
Question : Est-ce que vous n'avez pas tenu ce propos : "Le chien de Delporte est très méchant ; il a fallu qu'il connût la personne pour la laisser monter dans la voiture" ?
Réponse : Je l'ait dit, et c'est encore mon opinion.
Question : Les constatations médicales ont établi que Delporte a été frappé d'une grosse pierre qui a été retrouvée dans la voiture, et ce, traîtreusement, par derrière. L'accusation prétend que c'est vous l'assassin.
Réponse : Elle se trompe.
Question : Vous avez été employé au moulin de Garges du 12 octobre au 17 novembre ?
Réponse : Oui, j'étais charretier.
Question : On faisait la tournée le mardi ?
Réponse : Oui, je l'avais faite avec le patron.
Question : Vous connaissiez l'itinéraire et l'heure au départ ?
Réponse : Oui, quelquefois huit, quelquefois neuf heures.
Question : Qui a touché l'argent, quand vous avez accompagné votre patron ?
Réponse : C'est moi.
Question : Quelle somme avez-vous touchée ?
Réponse : Je ne me rappelle pas.
Question : Pourquoi votre patron vous a-t-il renvoyé ?
Réponse : Parce que j'ai passé une nuit dehors, ma voiture s'étant embourbée.
Question : On prétend que vous étiez un paresseux, un ivrogne, que vous dépensiez votre argent dans les cabarets. Dans votre pays d'origine, au hameau des Ormes, près Gennevilliers, on , n'a pas donné de meilleurs renseignements sur vous. Vous aviez la réputation de faire des dupes.
Réponse : Tout ça, c'est pas vrai.
Question : A quinze ans, vous avez mis le feu chez votre patron, qui exploitait une tuilerie ! S ... baisse la tête.
Question : Vous avez été acquitté comme ayant agi sans discernement, puis envoyé dans une maison de correction d'où vous êtes sorti sur les instances de votre père. La veille du jour de la mort de Delporte, vous étiez sans ressources ; le lendemain, on vous voit faire des dépenses relativement considérables. Le 17 novembre, le patron, en vous congédiant, vous a soldé vos gages, c'est-à-dire 2 francs et 80 centimes ; vous avez emprunté 1 franc et 90 centimes à un sieur Vincent, c'est tout ce que vous possédiez ?
Réponse : J'avais davantage. Mon patron m'avait donné une avance de 20 francs vers le 5 et, le 14 novembre, j'avais touché une autre avance de 40 francs.
Question : C'est exact, mais vous oubliez de dire que, le 14 novembre, vous êtes allé à Paris et que vous y avez dépensé tout ce que vous possédiez.
Réponse : Quand j'ai quitté le moulin de Garges, le 17 novembre j'avais une somme de 35 à 10 francs.
Question : Si vous aviez été en possession de cette somme, vous n'auriez pas emprunté, le 30 novembre, deux francs à un camarade pour faire votre route.
Réponse : Je ne lui ai rien emprunté, c'est lui qui me devait cette petite somme.
Question : Ce témoin viendra dire le contraire. En attendant, expliquez pourquoi, puisque vous avez de l'argent, vous êtes allé demander l'hospitalité à Paris, à votre frère de lait M. Garnier.
S ... baisse la tête et ne répond pas.
Question : Le 30 novembre, Garnier vous a dit : "Cela ne peut pas durer toujours, il faut que tu trouves du travail", et vous êtes parti en lui demandant deux francs. Quelle heure était-il ?
Réponse : Onze heures.
Question : Qu'avez-vous fait à partir de ce moment ?
Réponse : Je suis allé aux Halles, puis à la fête de Montmartre.
Question : Voyons, tâchez donc de vous défendre par d'autres moyens que par des mensonges.
Réponse : Je dis la vérité.
Question : Vous prétendez que vous aviez encore 35 à 40 francs lors de votre arrivée à Paris. C'était l'argent de vos gages.
Réponse : Oui.
Question : Lorsqu'on vous a arrêté, vous aviez un costume neuf que vous aviez payé avec de l'or. Or, votre patron, le 14 novembre, vous a donné 40 francs en petite monnaie.
Réponse : C'est une erreur.
Question : Vous étiez si pauvre que vous n'avez pas mangé pendant la journée du 30 novembre. A minuit et demi, vous dépensez dix francs pour votre souper, vous payez des tournées à plusieurs personnes; vous avez offert le café à une fille. Le lendemain vous avez acheté des vêtements et un chapeau. Dans la soirée, vous avez loué une chambre 4 francs. Les jours suivants vous vous êtes fait marchand de fleurs. Bref, les sommes dépensées ainsi représentent à peu près le montant de la somme que le malheureux Delporte avait sur lui.
Réponse : Je suis innocent, ce n'est pas moi qui ai assassiné Delporte.
Audition des témoins
M. Bertout, meunier à Garges, fait une déposition conforme au récit de l'accusation. Il ajoute que Bernard Delporte était un excellent sujet.
Question : Vous aviez donc donné 40 francs le 14 novembre à l'accusé ?
Réponse : Oui, monsieur le président.
Question : En or ou en argent ?
Réponse : J'ai payé S ... avec de la petite monnaie.
On entend le garçon meunier, ancien camarade de l'accusé. Tous s'accordent à dire que S ... est rentré au moulin de Garges le 14 novembre au soir, sans le sou, ayant dépensé ses 40 francs à Paris.
L'un d'eux est très affirmatif. C'est S ... lui-même qui, le 16 novembre, la veille de son départ du moulin, a dit au témoin : "J'ai dépensé tout mon argent à la fête Rochechouart, il ne me reste plus un sou".
A un autre témoin, l'accusé a dit, le 17 novembre, après son départ du moulin : "Tu me dois deux francs, donne-les moi car je n'ai plus le sou, et ça m'aidera à faire ma route".
S ... déclare n'avoir pas tenu ce propos au témoin, qui maintient sa déposition.
Un garçon meunier, employé chez M. Bertout, est interrogé sur le chien que la victime emmenait toujours dans ses tournées.
Question : Vous connaissez ce chien ?
Réponse : Oui, c'est un petit épagneul, très hargneux.
Question : Pouvait-on monter dans la voiture quand il s'y trouvait ?
Réponse : Non, à moins qu'il ne connût la personne. Mon opinion est que l'assassin devait être connu du chien, sans cela il ne serait pas monté dans la voiture.
Me Decori, défenseur de l'accusé : Oui, mais si une personne connue du charretier Delporte avait été invitée à monter, le chien aurait-il protesté ?
Le témoin : Oui,, je crois qu'il aurait aboyé tout de même.
On entend M. Garnier, frère de lait de l'accusé, qui déclare que S ... a reçu l'hospitalité chez lui du 17 novembre au 30 novembre au matin.
Question : Avait-il de l'argent en arrivant chez vous ?
Réponse : Il devait en avoir un peu, mais quand il est parti, il n'en avait plus, et il m'a demandé 2 francs. Je ne lui ai donné que vingt sous, pour me débarrasser de lui.
Question : Pourquoi est-il parti de chez vous ?
Réponse : J'étais fatigué de son long séjour à la maison sans le voir travailler. Le 30 novembre au matin, je lui ai dit : "En voilà assez ! Il faut que tu partes et que tu cherches du travail". Nous sommes sortis tous les deux. C'est dans la rue qu'il m'a emprunté 2 francs ; il est parti et je suis allé à mes occupations. Je ne l'ai plus revu.
Question : Pendant son séjour chez vous, avez-vous remarqué s'il portait un tricot de matelot sur ou sous sa chemise ?
Réponse : Je ne lui en ai pas vu.
On rappelle un garçon meunier qui déclare avoir vu, au moulin de Garges, S ... travailler avec un tricot semblable à celui qui figure sur la table des pièces à conviction.
L'accusé : Je n'ai jamais porté de tricot.
Le témoin : Ce que j'avance est si vrai, qu'un jour ayant égaré mon tricot qui est semblable à celui de S ..., je lui dis : "Est-ce que tu m'aurais chipé mon tricot par hasard ?"
L'accusé : Je n'ai jamais porté de tricot.
Après les dépositions du marchand de vins de la rue du Pont-Neuf et de son garçon qui déclarent que le 30 novembre, après minuit et demi, l'accusé est venu souper et faire une dépense d'une dizaine de francs, l'audience est levée et renvoyée à aujourd'hui mercredi onze heures et demie, pour la suite de l'audition des témoins.
Le Rappel – 30 juin 1887

Le crime de Garges - Condamnation à mort - Le défilé des témoins a été plus rapide qu'on ne le pensait, et la solution attendue aujourd'hui a été connue hier même.
S ... a été condamné à la peine de mort.
Au début de l'audience M. l'avocat général Reynaud avait habilement résumé tous les arguments établissant la culpabilité ; le réquisitoire avait été simple, clair et se trouvait être par suite terriblement dangereux.
Me Félix Decori était chargé de la défense ; cette défense lui a fourni l'occasion de prononcer une de ses meilleures plaldoieries. Il a présenté l'affaire de telle sorte qu'il était arrivé à faire naître le doute dans l'esprit des a uditeurs ; aprè l'avoir entendu l'on ne pouvait croire à une condamnation à mort, car si faible que fût le doute, il y avait doute.
Nous ne voudrions pas avoir l'air de "découvrir" le talent de Me Decori, mais nous sommes heureux de constater que ce talent se montre plus solide à chaque affaire d'assises où se fait entendre notre confrère et ami, et nous sommes heureux de lui adresser des félicitations.
Ses efforts n'ont pas été couronés de succès, puisque S ... a été condamné à mort.
Après la lecture du verdict, le défenseur a demandé acte à la cour de ce qu'un témoin avait assisté aux débats avant de faire sa déposition. Il résulte en effet des affirmations de notre confrère Bean, que le témoin en question était venu s'asseoir au banc de la presse pendant les dépositions de deux témoins inscrits avant lui.
La Cour a donné acte : que répondra la Cour de cassation ?
La Justice – 30 juin 1887

Commutation de peine - M. Beauquesne, directeur de la Roquette, a informé hier le condamné à mort Alexandre S ... de la commutation de peine dont il vient de bénéficier, par suite de la clémence présidentielle. On n'a pas oublié que S ... fut condamné à la peine capitale, le 30 juin dernier pour avoir assassiné un meunier nommé Delaporte, sur la route de Garges. S ... partira pour Saint-Martin-de-Ré vers la fin du mois et sera dirigé ensuite sur la Nouvelle-Calédonie.
Le Rappel – 15 août 1887

Evasion du forçat S ... - On se souvient du crime de Garges. Le 30 novembre 1886, un charretier, le nommé Bernard Delporte au service de M. Bertoud, meunier à Garges, avait été assassiné par un nommé Alexandre S ....
L'assassin, condamné d'abord a mort par la cour d'assises de la Seine, le 29 juin 1887, avait eu sa peine commuée en celle des travaux forcés a perpétuité, et on l'avait déporté à la Guyane, au camp de Saint-Laurent.
Il parait qu'il s'est évadé le 28 février dernier.
Le ministère de l'intérieur on a informé le service de la Sûreté. Des ordres ont été donnés pour que S ... fût recherché.
La Justice – 29 octobre 1891

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